Jaque Rhené (Marguerite Cartier) – 1918-2006

Un héritage musical pour la jeunesse 

Née Marguerite Marie Alice Cartier le 4 février 1918, Rhené Jaque a reçu sa première éducation musicale à Beauharnois avant de poursuivre ses études à l’École Vincent-­d’Indy à Montréal. Après des études en composition avec Claude Champagne (professeur qui l’a profondément marquée), elle s’est perfectionnée auprès de François Morel, de Jean Vallerand et de Marvin Duchow.  En 1972, elle a suivi des cours de perfectionnement en composition dans la classe de Tony Aubin, à Nice. Elle a écrit des petites pièces pour jeunes interprètes, mais aussi du répertoire plus élaboré pour piano, violon, violoncelle, orchestre, orgue, voix, chœur et musique de chambre. Afin de souligner l’ensemble de son œuvre, l’Association des femmes compositeurs canadiennes l’avait nommée en 2002 membre honoraire à vie. Pédagogue convaincue, de 1943 à son décès survenu le 31 juillet 2006, elle aura transmis à des centaines d’étudiants en violon, en violoncelle et en composition ses connaissances musicales mais surtout son enthousiasme contagieux. Tous ceux qui l’ont côtoyée de près ou de loin se souviendront de son regard pétillant, de sa curiosité naturelle, de son empathie et de son profond amour pour la musique.

Un langage personnel 

Ayant choisi la voie de la composition à une époque ou peu de femmes osaient s’y adonner, Sr Jacques René (de son nom de religieuse) a toujours refusé le conformisme des écoles de composition existantes pour se forger un langage individuel. « Ayant suivi des cours d’écriture musicale avec Monsieur Claude Champagne », racontait-elle lors d’une conférence, « il m’arriva un jour de lui demander si je pouvais écrire des pièces avec des gammes personnelles, c’est-à-dire des gammes qui ne sont ni majeures ni mineures, ni même sérielles. Je n’utilise pas les douze sons d’une façon rigoureuse. Cela m’amène à des agrégats d’accords un peu étranges, en dehors du classicisme. Si je superpose des gammes différentes, les agrégats d’accords s’éloignent des accords de septième de dominante ou à trois sons. Avec ce bagage atonal, ces systèmes de gammes, j’ai commencé à composer mes petites pièces. Monsieur Champagne m’approuva, au grand désespoir de Sr Marie Stéphane qui ne jurait que par le système tonal, fort bien établi depuis des siècles. Dans le choix de mes thèmes, je recherche beaucoup la couleur et le dynamisme. J’aime que la musique soit vivante, mais en même temps qu’elle constitue un repos, une sorte de délassement pour l’auditeur.»

Écrire pour les jeunes 

Passionnée, Rhené Jaque compose en pensant aux jeunes : « Mes pièces ont souvent été écrites à la demande de mes compagnes professeurs. J’écrivais surtout durant les vacances parce qu’il me fallait du temps et beaucoup de tranquillité. » Elle est très soucieuse que les élèves soient heureux en jouant. Elle laisse la musique « grave » de côté et s’imagine souvent un petit tableau, rythmé et expressif. « Pour Le Petit âne gris, dit-elle, j’ai imaginé un petit âne qui n’est pas d’humeur égale. Tantôt il marche paresseusement, tantôt gaiement. Tout à coup il s’arrête avec entêtement, il repart avec l’idée de s’arrêter brusquement, au grand désespoir de son maître, et voilà qu’il décide enfin de retourner dans son étable. » Le petit âne qui a inspiré ce tableau, elle l’a vu dans un restaurant à Nice, alors qu’un petit garçon sans-le-sou passait aux tables pour vendre des petits bibelots en forme d’âne.

Dans les œuvres très courtes comme Vision spatiale et Pluie de météorites, elle sait agencer des passages rythmés à d’autres plus chantants en un tournemain puisqu’il ne s’agit que de quelques lignes. Mais ces courtes pièces ont un sens, aussi bien esthétique que technique et émotionnel. Le plaisir du jeu des doigts et des mains a toujours une place de choix dans ses œuvres, notamment dans Jeux (justement !), Badinerie et Toccata sur touches blanches. Puis se révèlent quelques bijoux comme Lutin, Escapade dans l’île, Scherzo, Suite n° 2, ou encore, Étude et Fantaisie.

Par leur couleur, leur clarté et l’émotivité qui en découle, les œuvres de Rhené Jaque peuvent parfois rappeler celles d’autres compositeurs comme Ravel, Poulenc, Bartók et Prokofiev, mais avec sa touche personnelle, inspirée des techniques d’écriture plus contemporaines.

Nom de plume

« Plusieurs se demandent d’où vient mon nom de plume Rhené Jaque. Quand il s’est agi de faire éditer mes pièces musicales, Monsieur Champagne me dit : « Il vous faut maintenant un nom de plume, surtout pas un nom de femme ni de religieuse parce que vos pièces ne se vendront pas. » Peut-être avait-il raison. Comme je n’avais aucune expérience dans le domaine de la diffusion et de la publication, je lui faisais confiance. »

Un jour, il me dit qu’il avait trouvé mon nom de plume : « Vous inversez vos noms de religieuse et le tour est joué. Avec un tel nom, les gens ne sauront pas que vous êtes une femme ni une religieuse. »

Source : Claudine Caron et Lucie Renaud