Lacroix Marthe (Alida-Marie) – 1917-1999

UNE FEMME DE VISION :  Sœur Marthe Lacroix, SNJM

Donner un sens à sa vie

Très consciente des limitations exigées par la consécration par vœux, la jeune fille s’attache cependant à l’aspect spirituel de sa vocation. Elle aspire à un « engagement partagé avec d’autres femmes ayant la même volonté de répondre à un besoin d’éducation chrétienne de la jeunesse ». La vie vécue avec d’autres sœurs lui apparaît comme une source d’inspiration, une occasion de « partager leur vie de prière, leurs valeurs et leurs préoccupations apostoliques ». Elle croit que la vie religieuse s’insère dans la mission de l’Église, qui est de dire Jésus Christ. Après cinquante ans de vie consacrée, elle confiera : « Je réalise que les restrictions et limites que l’on s’impose ne peuvent que favoriser notre approfondissement humain et spirituel. »

Croire à la nécessité d’une formation adéquate

Sœur Marthe est décrite comme une éducatrice vigilante, compétente et enthousiaste. Ses dix-neuf ans d’enseignement aux garçons du Mont-Jésus, à Outremont, ont marqué la carrière de centaines de professionnels. Munie d’un brevet d’enseignement, d’un baccalauréat en Pédagogie familiale et d’une licence en Hygiène et Pédagogie, elle aura la chance de poursuivre ses études à l’Université Colombia, à New York. Elle y obtiendra (en 1965) un doctorat en Éducation, en anglais bien entendu! À son retour, elle prendra la direction du Collège Mont-Jésus-Marie, à Outremont, jusqu’à sa fermeture en 1969.

Aller en éclaireuse

La compétence de sœur Marthe n’est plus à faire. Une autre mission lui sera confiée par la Congrégation. En 1970, elle fera partie de la Commission Gosselin. Cette équipe de recherches sous la direction de monsieur Roger Gosselin, spécialiste en administration, aura le mandat d’inventorier les ressources humaines et financières des douze provinces canoniques du Canada, des États-Unis et de l’Afrique (Lesotho). L’objectif visé est celui de réorienter les œuvres et les effectifs SNJM. Par cet exercice de transparence, la pédagogue avisée aidera à mettre en lumière la situation réelle de la Congrégation et préparera de loin les transformations d’après-concile Vatican II.

Ouvrir des voies nouvelles

Le Chapitre général de 1971-1972 sera l’occasion de donner suite au Rapport Gosselin. La riche formation intellectuelle, humaine et spirituelle de sœur Marthe Lacroix, ainsi que sa contribution remarquable à l’avancement de la Congrégation, la destinaient, sans contredit, à la fonction de supérieure générale, poste qu’elle assumera de 1971 à 1976. Avec sagesse, générosité et humilité, elle y déploiera ses qualités d’ouverture, de leadership et d’administratrice. Durant son mandat, des lettres circulaires profondes et interpellantes parviendront régulièrement aux communautés locales sous le titre « Réflexion du mois ». C’était sa façon de stimuler l’intérêt, d’approfondir la spiritualité et le charisme SNJM et d’ouvrir aux besoins de notre temps.

Fidèle à ses convictions, sœur Marthe portera hautement le souci d’éducation de la foi qui commande un engagement concret pour la promotion de la justice, particulièrement envers les pauvres et les femmes. Elle invitera ses consœurs à considérer « comment partager avec les moins favorisés afin de retenir les projets et les améliorations auxquels il est possible de contribuer par l’éducation. » (juillet 1973). Plus tard, elle insistera :

« L’Esprit nous invite à chercher de nouvelles formes de ministère ecclésial qui feront de notre coresponsabilité une réalité apostolique adaptée à notre temps. » (mars-avril 1976)

Sa pensée, elle la situe dans une perspective de promotion de la femme :

« La rénovation effective de la vie religieuse féminine est intimement liée à l’évolution des religieuses elles-mêmes en tant que femmes… (celles-ci) ont une contribution spéciale à apporter à l’Église et au monde et, par conséquent, elles ont le droit d’assumer leurs responsabilités non seulement dans les questions qui les touchent personnellement, mais encore dans tous les domaines de l’Église » (mai-juin 1976).

S’engager activement pour une cause

Son mandat de supérieure générale terminé, un autre défi attend cette femme animée d’une grande admiration pour sa fondatrice, mère Marie-Rose.  De 1976 à 1992, la Congrégation lui confiera la charge du Centre Marie-Rose, logé à la Maison mère d’Outremont. Elle aura la responsabilité de la cause de béatification de mère Marie-Rose. Pouvait-elle espérer plus belle mission?

Avec enthousiasme, elle s’adonnera à son rôle de documentaliste, de relationniste, de rédactrice, de conférencière, d’invitée à la radio et à la télévision, d’organisatrice, etc. Elle verra à la publication de deux nouvelles biographies sur mère Marie-Rose, fera restaurer son portrait original, commandera une sculpture sur bois de l’artiste Yvette Fillion-Hébert. Au moyen du Bulletin Marie-Rose, elle informera sa communauté et le public, faisant ainsi mieux connaître et aimer sa fondatrice.

Le 13 juillet 1979, le pape Jean-Paul II déclare mère Marie-Rose vénérable. C’est une première joie pour sœur Marthe. Elle travaillera avec plus d’enthousiasme encore à promouvoir la béatification. Un miracle attesté conduira à ce Jour tant espéré : ce sera le 23 mai 1982. La basilique de Rome vibre alors d’accents joyeux. Bienheureuse Marie-Rose Durocher figure désormais au nombre des élus. Avec ses collaboratrices, sœur Marthe reprendra les démarches de publicité, voyages, organisation des fêtes, rénovation du tombeau, etc. Un grand courant de ferveur anime les SNJM et la population qui les côtoie de plus près. Sœur Marthe Lacroix confiera elle-même que son engagement à la cause de la béatification fut pour elle « l’occasion de vivre une expérience spirituelle irremplaçable ».

Rester en tenue de service

Lorsqu’en 1992, il est question de transférer le Centre Marie-Rose à Longueuil, lieu de fondation, elle passera le flambeau à une autre. Sœur Marthe qui n’a jamais recherché les grandeurs assurera maintenant un service d’animation auprès des sœurs. Lorsque ses forces diminueront, elle visitera les sœurs malades qui souffrent de solitude ou qui appréhendent la mort. Son « sourire unique, sa présence attentive, sa grande bonté » seront pour elles une source de réconfort. Admise elle-même à l’infirmerie, elle resserre ses liens d’intimité avec Dieu. Elle parle ouvertement de sa mort comme d’une grande Rencontre avec Celui qui a été l’« Amour de sa vie ».

Laisser sa marque

Plusieurs témoignages touchants démontrent la force de rayonnement de cette femme  « attachante et joyeuse qui comptait de nombreuses amitiés ».  « Dans un grand souci d’unité, elle a réussi à bâtir des ponts de façon à relier l’Afrique aux deux Amériques. » « Elle s’est laissé façonner par la vie, par les événements, par Dieu. On la sentait désireuse d’aller de l’avant, de progresser. J’ai le sentiment que cela venait de sa qualité de présence attentive, chaleureuse et écoutante et de sa capacité à intégrer mission, spiritualité et humanité. » « Elle  nous a incitées à travailler à l’avancement d’une société plus juste, dans un esprit d’interdépendance pour la mission, bien avant que cela ne devienne une prise de conscience pour nous ! »

Bibliographie
Archives SNJM   (Lettres circulaires de sœur Marthe Lacroix, SNJM)
LAPERLE, Dominique, Entre Concile et Révolution tranquille. Les religieuses au Québec : une fidélité créatrice. Médiaspaul 2015, pp. 197-198; 250; 255; 260-261.  

Notes biographiques

Marthe Lacroix (1917-1999) est née à Broughton Station, en Beauce.  Elle est la cinquième des sept enfants de la famille d’Édouard Lacroix et d’Alida Routhier. Son père est marchand général et commerçant de bois, de sucre d’érable et d’animaux. « C’est un véritable troc qui s’exerçait chez nous, dans le milieu quasi multiculturel où j’ai grandi », dira-t-elle. À 11 ans, elle est pensionnaire au Couvent de Disraéli tenu par les Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (SNJM). Ce qui explique son entrée dans cette congrégation en 1935.