Comprendre les effets de la décolonisation par l’écoute des voix autochtones

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Peu importe leur lieu de résidence au pays, les femmes et les hommes autochtones expriment la même souffrance : « on nous a volé nos racines. » Cette blessure se matérialise par de nombreuses pertes, à commencer par la langue et la culture pour s’étendre jusqu’à la réduction du rôle et du pouvoir des femmes dans leur société. Que l’on soit au Québec ou au Manitoba, les impacts de la colonisation sont encore ressentis par les enfants « qui ont honte de ce qu’ils sont et de ce qu’ils voient », a souligné Sheila Chippastance, métis.

Cette dernière a participé avec deux autres membres de peuples autochtones à la conférence « À l’écoute des voix autochtones » organisée conjointement par les membres des comités de Justice et Paix SNJM du Québec et du Manitoba. La rencontre en mode virtuel du 24 janvier dernier a rassemblé quelque 150 personnes.

Rejoindre par l’émotion

Au fil de ces deux heures captivantes, l’assistance a été transportée dans l’univers du peuple innu au Québec par l’entremise d’une entrevue télévisée avec le journaliste et auteur Michel Jean et la recension de trois de ses livres. Rappelant que les Autochtones ne connaissaient pas leur propre histoire, notamment celles des pensionnats, Michel Jean a opté pour l’écriture romanesque pour aider à prendre conscience de leurs réalités. C’est par l’émotion et le ressenti que les gens sont touchés et peuvent mieux comprendre les situations vécues par les peuples autochtones, croit-il.

Les comptes-rendus de trois des livres de l’auteur ont permis une incursion dans l’univers de sa famille et dans celui de l’itinérance à Montréal. Dans ce dernier cas, la découverte des souffrances vécues par les itinérants autochtones a suscité le désir d’en apprendre plus et d’aller vers eux. Parmi les autres commentaires des participantes, soulignons celui d’une native de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui a dénoncé le fait que la population blanche a été laissée dans l’ignorance à l’époque sur les faits entourant l’arrivée du chemin de fer dans la communauté autochtone de Pointe-Bleue (Mashteuiatsh).

Cette première partie de la conférence comportait également la présentation de deux chants sur YouTube, l’un associé à une prière Ojibwa alors que le second faisait place à la chanteuse inuite Elisapie Isaac avec « Arnaq » (signifiant femme) qui rend hommage à la force des femmes de son village en soulignant « n’oublie jamais d’où tu viens ».

Réalités autochtones au Manitoba

La rencontre s’est poursuivie avec une « sage » de 87 ans, Mae Louise Campbell de la nation Ojibwa-Saulteaux Métis. Sa longue feuille de route ne l’empêche pas de poursuivre inlassablement son travail. « Je ne pense pas à la retraite, j’ai beaucoup trop de travail à faire », dit-elle d’entrée de jeu. Cette gardienne des sagesses des grand-mères autochtones du Manitoba est aussi cofondatrice d’un lieu de guérison, d’éducation et de formation.

« Nous étions très éduqués avant l’arrivée des Blancs… nous avions à cœur l’aspect sacré de tout être vivant, le respect envers la Terre Mère », souligne celle qui lutte pour redonner le pouvoir ancestral aux femmes. « Nous étions les leaders de nos communautés et préservions l’harmonie. » La colonisation a enlevé le pouvoir aux femmes. Elle a aussi fait perdre de nombreux savoirs (par exemple, lois sacrées) généralement transmis par elles sous diverses formes, dont des rituels.

Tout en soulignant l’urgence de tout réapprendre, Mae Louise Campbell insiste sur la nécessité de « travailler ensemble » dans le respect de chaque être vivant, des enfants « sacrés » et du rôle de la femme. Elle invite à créer des programmes pour « remplacer les mensonges, les mythes, reconnaître nos vérités » et souhaite que l’on puisse dorénavant « changer les façons de faire les choses ».

Les deux autres invitées, Patricia Mainville, de la nation Anishinaabe et Sheila Chippastance, Saulteaux-Métis, ont fait ressortir le rôle de la femme dans cette période de réconciliation en insistant sur l’éducation et la pertinence de se réapproprier leur culture. « Une seule personne dans la famille peut faire vivre des changements », exprime Patricia, convaincue du pouvoir de l’éducation pour rompre le cycle, faire entendre la vérité et s’épanouir.

Reconnaissance et compréhension

Enseignante, Sheila croit elle aussi aux vertus de l’enseignement auprès des jeunes. « Il faut leur apprendre à être fiers de leurs valeurs, de leur héritage », raconte-t-elle alors qu’elle-même a appris sa culture par sa mère non autochtone. Intervenant sur la décolonisation, les deux invitées croient important de « reconnaître et de comprendre ce qui a été fait avec la colonisation et les pensionnats et tout ce qui a été perdu par les peuples autochtones à commencer par la capacité d’élever leurs enfants. »

La découverte et l’apprentissage de leurs racines constituent une route difficile pour les Autochtones eux-mêmes. Les deux participantes déplorent aussi la perte de l’histoire des femmes autochtones et des impacts de la colonisation encore tangibles dans leurs communautés. La compassion, l’ouverture, l’écoute des voix autochtones avec la tête et le cœur constituent de bonnes pistes pour travailler à la décolonisation, selon elles.

Pour approfondir le sujet, consultez les ressources ci-dessous :

Vous pouvez également visionner la vidéo de la conférence ci-dessous.