Des sœurs SNJM ont marqué l’histoire de communautés rurales au Brésil

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Dans un récent article publié dans un journal régional et disponible sur le portail Web G1-Globo.com, la journaliste Paula Salati retrace l’histoire d’une coopérative agricole et de l’autonomisation d’une région rurale au Brésil.

Sa rencontre avec quelques personnes clés lui permet de remonter à la source de cette prise en charge et du changement de mentalités. On découvre ainsi l’influence et l’apport de trois sœurs SNJM du Québec arrivées au Brésil en 1986. Nous vous présentons une synthèse de l’article publié en portugais.

Une coopérative fondée par des femmes produit des sucreries en préservant la caatinga

La coopérative agricole a été fondée officiellement en 2004. Ses fondements remontent à la fin de années 80 à l’arrivée de trois religieuses des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (SNJM) du Québec. Ces dernières ont encouragé les femmes et les agriculteurs de la région semi-aride de Bahia et plus particulièrement de Uauá, Canudos et Curaçá à créer leur propre revenu.

Des travailleurs agricoles lors de la récolte de l’imbu. | Source : Coopercuc

La Cooperativa Agropecuaria Familiar de Canudos, Uauá et Curaçá (Coopercuc) s’est imposée depuis pour devenir une référence en matière de production biologique de fruits originaires de la caatinga* dont les fruits de la passion et l’imbu. Ce dernier est un produit phare de la coopérative. Outre le succès commercial de ce fruit charnu, il faut souligner le travail des communautés rurales de Coopercuc, dans la préservation et la multiplication de l’arbre fruitier umbezeiro, ce prunier du Brésil en voie d’extinction voilà quelques années.

La coopérative transforme les fruits de la récolte en bonbons, confitures et pulpes qui font le bonheur du marché brésilien. Depuis sa participation à l’exposition agroalimentaire Slow Food en Italie, la coopérative a percé le marché européen dont la France, l’Autriche, l’Italie et plus récemment, l’Allemagne.

Encourager l’émancipation des femmes

Denise Cardoso, présidente de Coopercuc | Source : Coopercuc

70 % des 270 membres agricoles familiaux de Coopercuc sont des femmes. En 2016, Denise Cardoso, alors âgée de 26 ans, prend la direction de la coopérative, devenant la première femme dirigeante. Elle relate l’histoire de la coopérative en lien avec l’évolution des mentalités de sa région et l’influence des religieuses québécoises.

« Dans notre région semi-aride, au milieu des communautés, les hommes agissaient comme les maîtres absolus. Les femmes ne pouvaient pas aller étudier parce que leurs maris ne les laissaient pas faire. Elles ne pouvaient pas davantage travailler parce qu’à ce moment-là, elles quittaient la maison », raconte Denise.

De gauche à droite, on reconnaît Sr Monique Fortier, Grâce Leblanc, Sr Martha D’Aoust et Sr Jacqueline Aubry en 1987 | Source : Archives SNJM

Le changement s’est opéré avec l’arrivée des trois religieuses catholiques canadiennes dans la municipalité de Bahia à Uauá, en 1986. Les sœurs Monique Fortier, Martha D’Aoust et Jacqueline Aubry faisaient partie du mouvement des Communautés ecclésiales de base (CEB), une branche de l’Église catholique qui avait à cœur l’organisation sociale et politique des populations les plus pauvres, particulièrement pendant la dictature militaire.

Elles ont su tisser des relations étroites avec les femmes et les hommes de Uauá, puis à Canudos et Curaçá. Puis, les sœurs Monique, Martha et Jacqueline ont commencé à encourager les femmes d’Uauá à gagner leur vie, à participer aux décisions de la communauté locale, à une époque où la présence féminine au sein des associations rurales et des mouvements sociaux étaient inexistante.

Sr Martha D’Aoust (à droite) avec d’autres sœurs lors d’une réunion de femmes dans une église en 1990. | Source : Archives personnelles Jussara Dantas

« Les sœurs ont dit aux femmes “regardez, même à la maison, élevez des poulets, faites votre jardin, récoltez l’umbu, ayez votre gagne-pain, pour ne pas dépendre uniquement de vos maris”, » souligne Denise Cardoso. Les sœurs ont aussi organisé des rencontres à l’église. « Les hommes pensaient que les femmes allaient étudier la Bible. Plus que cela, les sœurs effectuaient une transformation sociale dans l’esprit des femmes. »

Nourrir les rêves de liberté

Ce travail de fond a ouvert la porte à l’histoire remarquable de la coopérative, croit-elle. « En ce sens, lorsque nous avons fondé Coopercuc, tout le monde comprenait déjà ce qu’était le socio-activisme et comment les décisions collectives fonctionnaient. »

Sr Monique Fortier avec une famille d’agriculteurs. 1993 | Source : Archives SNJM

L’actuelle présidente de la coopérative avait deux ans lorsque les SNJM sont arrivées dans sa région. Elle en garde un souvenir indélibile même si ces dernières ont quitté en 1997. La présence d’autres missionnaires poursuivant dans la même veine a contribué à nourrir le rêve d’une plus grande liberté d’action et d’avoir une vie différente de celle de sa mère. « Ma mère qui a côtoyé les sœurs m’a souvent répété : “Ma fille ne te marie pas aussitôt que moi. Tu auras un avenir, des études, du travail”, » ajoute Denise.

Motivée à ne pas vivre les mêmes difficultés que sa mère, Denise a poursuivi ses études. À 30 ans, elle n’est pas mariée et n’a pas encore d’enfants alors que sa « mère était mariée à 16 ans, parce que mon grand-père ne voulait pas qu’elle “se perde dans la vie”. »

Visite de Sr Monique Fortier en 2009 dans une des communautés d’Uauá. On reconnaît Jussara Dantas, à droite (en bleu). Source : Archives personnelles Jussara Dantas

La trajectoire d’une autre partenaire de Coopercuc, Jussara Dantas, 39 ans, a aussi été transformée par les sœurs SNJM. À la tête aujourd’hui du Secrétariat municipal de l’éducation d’Uauá, elle est géographe, psychopédagogue et titulaire d’une maîtrise en développement semi-aride. « Les sœurs m’ont permis de rêver à autre chose », souligne Jussara dont l’horizon s’est peuplé de possibilités.

Une contribution inestimable

De l’avis de Denise Cardoso, la présence des religieuses n’a pas seulement transformé la vie des femmes dans la région. « Les sœurs ont également travaillé dur pour sensibiliser les jeunes garçons. Beaucoup d’entre eux pensaient quitter leur communauté pour aller travailler à l’étranger. Ils ont plutôt appris à valoriser leur environnement semi-aride. »

Les deux jeunes femmes ne manquent pas de signaler un autre fait remarquable au crédit des sœurs SNJM. Avant de quitter pour une nouvelle mission en 1997, les sœurs SNJM qui avaient réussi à donner une solide impulsion aux trois communautés bahianaises, ont préparé la venue d’institutions capables de les aider dans la production des fruits et la préservation de la caatinga.

Lors d’un pèlerinage diocésain à Romaria de Canudos, on retrouve Sr Jacqueline, Cristina, personne associée SNJM, Sr Monique et Sr Ana Maria V. Mamani, en visite à Uauá. | Source : Archives SNJM

C’est ainsi qu’une ONG (Instituto Regional da Pequena Agropecuária Apropriada – IRPAA) s’est installée dans la région pour travailler avec des techniques de gestion adaptées à la végétation et au climat de la région semi-aride. Dès 1997, des femmes des trois communautés ont reçu une formation de cette ONG sur la transformation des fruits de la région.

Cette formation a été bénéfique comme le raconte Denise. « Mes tantes et ma mère ont participé et appris à faire des confitures et des bonbons. Après ce cours, mes parents ont commencé à faire des bobons à la maison, à les mettre dans les bocaux pour les emporter aux marchés de la rue. C’était le tout début de la coopérative. »

Valorisation d’un milieu semi-aride et perspectives d’avenir

Même si la production et la commercialisation de bonbons par des agricultrices et des agriculteurs sous une forme coopérative ont commencé en 1997, ce n’est qu’en 2004 que la coopérative a été officialisée. Au cours de ces années, les associés ont construit de petites unités de transformation dans les 13 communautés rurales de l’organisation.

Les agriculteurs de Coopercuc travaillant sur la récolte d’imbu. L’umbuzeiro reconnu comme « l’arbre sacré de l’arrière-pays ». | Sources photos : Coopercuc et archives personnelles Adilson Ribeiro

La coopérative ne bénéficie plus des programmes publics depuis 2016, qui favorisaient l’achat de ses produits pour une redistribution aux personnes en situation d’insécurité alimentaire et aux écoles publiques. Elle doit développer de nouveaux marchés dans le secteur privé dont les chaînes de supermarchés par exemple, et maintenir ses partenariats avec des ONG et les gouvernements.

En août 2020, Coopercuc a exporté la banane douce aux fruits de la passion en Allemagne en partenariat avec une entreprise européenne (Toda Vida) qui soutient des projets d’agriculture durable au Brésil. De plus, des ressources ont été investies dans le projet Agrocaatinga pour venir en aide principalement aux exploitations agricoles familiales dégradées et favoriser la préservation et la valorisation du biome.

Les membres de la coopérative sont également encouragés à diversifier leur jardin en plantant diverses espèces et à préserver la caatinga et par le fait même, à valoriser l’imbu. Ce dernier a d’ailleurs connu une augmentation de sa valeur marchande passant de 3 R $ pour le 60 kg en 2003, à plus de 150 R $ aujourd’hui.

Sœurs Jacqueline et Monique lors d’une rencontre avec des responsables de la communauté à Uauá. | Source : Archives SNJM

Selon Denise, les sœurs SNJM sont étroitement associées à Coopercuc même si elles n’ont pas participé à toute la construction de la coopérative. « Ce sont elles qui nous ont donné les bases de la formation sociale, la notion de participation politique et nous ont appris à vivre avec notre environnement semi-aride…

Sr Martha D’Aoust en compagnie d’une jeune confirmée. 199 | Source : Archives SNJM

Nous avons d’anciens membres qui, même à la retraite, ne perdent pas une réunion de la coopérative. Les religieuses ont beaucoup marqué notre histoire » conclut la directrice de la coopérative.

Soulignons que les sœurs Monique Fortier et Jacqueline Aubry vivent désormais au Québec alors que Sr Martha est décédée en 2008.

 

 
*La caatinga fait référence à un type particulier de végétation, en l’occurrence de petits arbres épineux vivant de manière saisonnière dans un écosystème appartenant lui-même au biome** des déserts et brousses de l’écozone néotropicale. (Source Wikipedia)
**Un biome, appelé aussi macroécosystème, aire biotique, écozone ou encore écorégion, est un ensemble d’écosystèmes caractéristique d’une aire biogéographique et nommé à partir de la végétation et des espèces animales qui y prédominent et y sont adaptées. (Source Wikipedia)