Des données et des témoignages troublants sur l’exploitation sexuelle des mineures

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Dans le cadre d’une conférence virtuelle destinées aux membres du Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale (CATHII) et à des personnes invitées, Nadine Lanctôt, Ph.D,* a présenté le résultat d’une étude menée en 2016 « La face cachée de la prostitution »,** permettant de mieux comprendre l’exploitation sexuelle des mineures. Elle a aussi fait état des conséquences de cette exploitation sexuelle à travers la notion du trauma complexe, le modèle théorique utilisé pour cette recherche.

D’entrée de jeu, elle a souligné un changement implanté depuis juin 2019 qui a un effet direct sur la perception et la gestion des cas au sein de l’appareil administratif de la protection de la jeunesse au Québec. Ainsi, au lieu d’étiqueter une personne ayant subi l’exploitation sexuelle au sein du système prostitutionnel comme délinquante (troubles de comportements sérieux), on parle désormais d’une victime d’agression sexuelle.

Même si le changement est officiel cela ne veut pas dire pour autant que tout le monde a bien intégré cette distinction majeure. Il y a donc énormément de travail de sensibilisation à effectuer. C’est d’autant plus pertinent, comme le rappelle Madame Lanctôt, que les résultats de ses recherches auprès de 125 adolescentes et femmes, révèlent des blessures profondes qui méritent une approche particulière et du temps pour aider ces victimes à se reconstruire.

« Vivre avec… »

La conférencière a dévoilé des données troublantes et présenté des témoignages poignants qui traduisent la vulnérabilité des personnes victimes d’exploitation sexuelle. Ainsi dans le groupe de jeunes filles en Centre Jeunesse ayant vécu l’exploitation sexuelle, 44 % d’entre elles ont reconnu avoir vécu une agression sexuelle avant l’âge de 12 ans. Ce pourcentage tombe à 26 % dans le second groupe de jeunes filles placées en Centre jeunesse, mais sans avoir vécu dans cet univers de l’exploitation sexuelle.

Dans certains cas, les blessures sont tellement grandes que même prendre une douche devient difficile tellement le rapport à son propre corps est altéré. Que penser encore de ce cri du cœur d’une fille qui a subi un viol collectif commis par huit gars et qui souhaitait « être tuée » plutôt que de devoir « vivre avec… »

Les conséquences sont multiples et touchent plusieurs aspects de la vie de la victime. « Cette personne se définit par son parcours de victimisation », mentionne Madame Lanctôt. De la détresse psychologique considérable, à la colère vive en passant par une coupure émotive et un mal de vivre, les victimes sont souvent aux prises avec des symptômes de stress post-traumatique.

Réintégration sociale

Nadine Lanctôt,Ph.D. en criminologie

Dans de telles circonstances, la conférencière a parlé d’un long processus pour favoriser une réintégration sociale des victimes de l’exploitation sexuelle. Malgré les difficultés bien réelles pour relever ce défi, elle demeure optimiste. « Les connaissances nous mènent de plus en plus vers une approche positive de la réadaptation, en se centrant sur les besoins, les forces et les ressources des victimes d’exploitation sexuelle plus que sur leurs risques et déficits. Le Québec peut ainsi s’inspirer d’innovations scientifiques et sociales issues de partenariats recherche-pratique. »

Cela ouvre à d’autres pistes d’investigation pour approfondir certaines questions qui touchent davantage le travail sur le terrain afin de pouvoir mieux soutenir les victimes d’exploitation sexuelle dont : Quelles sont les pratiques prometteuses?  Quelles sont les approches d’intervention à privilégier? Quels sont les facteurs facilitants et les facteurs entravant le maintien de la sortie?

Pour les membres du CATHII, les résultats de la recherche menée par Nadine Lanctôt, mettent en lumière les conséquences graves et durables affectant les jeunes femmes ayant subi l’exploitation sexuelle dans le système prostitutionnel. Ils viennent valider la position néo- abolitionniste adoptée par l’organisme.

Rappelons que cette approche milite pour l’abolition du système prostitueur dans une perspective de droits humains des personnes prostituées et de lutte féministe. Elle milite pour la criminalisation des prostitueurs (proxénètes et clients) et pour la non-criminalisation des personnes captives du système en place.

Découvrez la websérie « Les faces cachées de la prostitution »

*Nadine Lanctôt, Ph.D. en criminologie | Professeur titulaire – Département de psychoéducation, Université de Sherbrooke | Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le placement et la réadaptation des filles en difficultés
**Le titre complet de l’étude de 2016 : La face cachée de la prostitution : une étude des conséquences de la prostitution sur le développement et le bien-être des filles et des femmes